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[casi] Iraq: Thinking the Unthinkable - "Trois Etats en un seul"



"... Il est temps de penser l'impensable et de créer un Etat kurde au nord,
un Etat arabe sunnite au centre, enserrant Bagdad ; et enfin un Etat arabe
chiite dans la région de Bassora. Répéter des incantations sur l'intégrité
territoriale, la sagesse conventionnelle des relations internationales,
n'est réellement productif que tant que cela sert à assurer la stabilité et
à prévenir le chaos. Une fois de plus, comme les exemples de la Yougoslavie
et de l'ex-Union soviétique l'ont montré, l'intégrité territoriale perd son
sens stratégique et sa légitimité quand les conflits remplacent la
stabilité. ..."


http://www.lefigaro.fr/debats/20031024.FIG0113.html

Trois Etats en un seul

PAR SHLOMO AVINERI *
[24 octobre 2003]



Les difficultés croissantes des Etats-Unis à mettre en place une forme
cohérente de gouvernement en Irak, sans même parler d'un gouvernement
démocratiquement élu, nous incitent à envisager ce que la plupart des hommes
d'Etat tiennent pour invraisemblable, à savoir qu'il n'existerait aucun
moyen de reconstituer l'Irak en un seul Etat et que des options différentes
doivent être envisagées, même si cela paraît très inconfortable.

Comme bien d'autres difficultés inhérentes à la renaissance d'Etats mis à
mal par la dictature - l'Europe de l'Est et l'Europe centrale sont un bon
exemple de cela - les difficultés irakiennes ont des racines historiques
très profondes. Accuser les Américains et leur force est bien trop simpliste
et superficiel, en dépit des nombreuses erreurs qu'ils ont commises.


L'Irak fut créé dans les années 20 par les Britanniques qui occupaient la
région par suite de la désintégration de l'Empire ottoman, à la fin de la
Première Guerre mondiale. Leur politique était dictée par les impératifs de
l'empire britannique ; aussi n'accordaient-ils aucune attention aux
souhaits, intérêts ou spécificités des populations locales.

Tout ce que les organisateurs de l'empire britannique accomplirent fut
d'assembler trois provinces disparates de l'Empire ottoman et de placer à
leur direction un prince d'Hedjaz (qui fait maintenant partie de l'Arabie
saoudite). Ces trois provinces, Mossoul, Bagdad et Bassora, avaient chacune
des caractères très distincts et des structures de population très
différentes.


Mossoul était à majorité kurde, avec quelques minorités assyrio-chrétiennes
et turkmènes, Bagdad était principalement sunnite et Bassora à dominante
chiite. Jeter des groupes aussi disparates sous un seul chapeau politique
condamna le pays qu'on venait d'inventer à des décennies de répression et de
querelles domestiques.

L'ancien Empire ottoman régnait sur ces trois provinces, tout comme il
régnait sur toutes ses possessions impériales, par des moyens autocratiques
historiques. Le défi que devait relever le nouvel Etat irakien fut de créer
un gouvernement sans despotisme et relativement représentatif dans lequel
tous les segments de la population pouvaient retrouver l'expression de leur
volonté politique. Cela se révéla être une mission impossible. Pour cette
raison, l'Irak, bien avant Saddam Hussein, a toujours souffert des régimes
les plus répressifs du monde arabe.


Dans un pays à majorité chiite, les sunnites - groupe historiquement
hégémonique dans tous les pays arabes - se sont toujours montrés opposés à
tout processus démocratique qui risquait de remettre leur loi en cause. Un
soulèvement chiite fut brutalement réprimé dans les années 20 (avec l'aide
de la Royal Air Force).

De même, les tentatives kurdes pour gagner l'autonomie avant la Seconde
Guerre mondiale furent noyées dans un bain de sang lors des massacres de
dizaines de milliers de civils innocents. Même la minorité des chrétiens
assyriens, qui n'avait aucune ambition politique, a subi des assauts
meurtriers dans les années 30.


Dans ces conditions, la minorité sunnite régnante se sentant constamment
menacée, il n'est pas surprenant que la seule tentative dans le monde arabe
pour établir un régime fasciste pronazi se soit produite en Irak au début
des années 40, sous la férule de Rachid Ali el-Khailani. Les Britanniques
empêchèrent cette mésaventure, mais ne purent pas prévenir l'assassinat de
centaines de juifs de Bagdad au cours d'un pogrom sauvage déclenché par le
gouvernement pronazi.

La violence antiaméricaine de ces derniers mois n'est en fait pas uniquement
la seule expression d'une colère à l'endroit de l'occupation étrangère ;
elle procède aussi de la tentative sunnite de faire avorter la mise en place
d'un ordre démocratique qui, de maître de son histoire nationale, la
ravalerait à une position subordonnée.


De même, on ne peut espérer que les Kurdes du Nord se soumettent
volontairement à un régime dominé par les Arabes à Bagdad, et encore moins à
un régime chiite (la plupart des Kurdes sont sunnites). A l'ouest, on
comprend mal la profondeur des divisions sunnites-chiites. Pensez à l'Europe
d'avant 1648, quand les protestants et les catholiques se massacraient les
uns les autres avec désinvolture, et vous comprendrez immédiatement
l'hostilité qui règne actuellement entre les communautés en Irak.


Alors, que faire ? L'exemple de la Yougoslavie montre que les pays où les
ethnies et les religions sont multiples et profondément déchirées par les
conflits, la partition et la séparation représentent parfois le seul moyen
d'assurer la stabilité et la démocratisation. Aujourd'hui, plus personne ne
doute que la Serbie et la Croatie, en dépit de leurs difficultés, aient de
meilleures chances d'atteindre à davantage de stabilité démocratique dans la
paix que dans la guerre.


Il est temps de penser l'impensable et de créer un Etat kurde au nord, un
Etat arabe sunnite au centre, enserrant Bagdad ; et enfin un Etat arabe
chiite dans la région de Bassora. Répéter des incantations sur l'intégrité
territoriale, la sagesse conventionnelle des relations internationales,
n'est réellement productif que tant que cela sert à assurer la stabilité et
à prévenir le chaos. Une fois de plus, comme les exemples de la Yougoslavie
et de l'ex-Union soviétique l'ont montré, l'intégrité territoriale perd son
sens stratégique et sa légitimité quand les conflits remplacent la
stabilité.

Cela n'est pas une ordonnance universelle pour la création d'Etats homogènes
du point de vue ethnique. Il s'agit simplement de montrer qu'il existe des
moments historiques où démocratisation et création d'une nation coïncident
et que dans les sociétés profondément divisées un consensus minimal est
nécessaire tout en étant problématique à installer. Tout cela peut sembler
aller à l'encontre de la sagesse conventionnelle ; mais qui aurait bien pu
croire que l'Union soviétique allait s'effondrer ? Nous devons adopter un
mode de réflexion novateur au sujet de la question irakienne, sinon le chaos
d'aujourd'hui continuera et s'aggravera .

* Professeur de sciences politiques à l'université hébraïque de Jérusalem.
(Copyright : Project Syndicate, octobre 2003. Traduit de l'anglais par
Catherine Merlen.)



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